PYRÉNÉES: PASTORALISME ET BIODIVERSITÉ, DANS L’HISTOIRE ET AUJOURD’HUI.
ASPAP – Assemblée générale 1° février 2008
Bruno Besche-Commenge ASPAP/ADDIP
Introduction:
Deux aspects inséparables de notre action pyrénéenne à propos des importations d’ ours, comme dans les
Alpes et à l’étranger, Espagne notamment, où le loup est lui aussi un problème dramatique pour la survie de
montagnes à visage humain:
- bataille dans l’urgence, sur le terrain, elle est première, fondamentale, et depuis la manifestation que
l’on nous fait payer et le lâcher d’Arbas que l’on a empêché, l’ASPAP joue un rôle essentiel sur ce plan ;
- bataille sur les problèmes de fond qui concernent l’avenir du massif, ses femmes, ses hommes, son
économie, mais aussi son écologie et la protection de la biodiversité, car le principal scandale c’est que
certains se sont appropriés ces deux notions alors que ce sont d’abord les éleveurs pyrénéens qui depuis
des millénaires en sont les acteurs et continuent de l’être.
Les deux batailles sont inséparables: dire « non » aux importations d’ours slovène , mais aussi justifier
de façon profonde les raisons de ce non, qui est d’abord un « oui » à autre chose qu’un ensauvagement
contradictoire avec l’histoire et la biodiversité des Pyrénées.
1 - Cadre global, le fond des problèmes
Il est impossible d’aborder ces problèmes en quelques lignes rapides, et c’est une difficulté majeure : les
importateurs d’ours mettent en scène des idées simplistes, ils jouent sur un sentimentalisme un peu infantile
(le nounours qui nous a tous bercés), sur des images qui font peut-être de beaux films mais restent des fictions .
L’amour des bêtes, celui de la nature, le désir de préserver le milieu, de continuer à jouir de sa beauté : ils en
arrivent à se présenter comme les seuls porteurs de ces sentiments.
C’est en fait une véritable OPA qu’ils font sur ces valeurs. Mais leur discours possède une grande force
apparente : en réduisant la complexité de ces problèmes à une espèce emblématique, très visible, spectaculaire,
ils jouent sur du velours. La complexité, le raisonnement, demandent des efforts pour sortir de ce
simplisme : on préfère souvent la facilité des apparences, ici comme dans bien d’autres domaines.
Essayons cependant …
1A - Revue “Pour la science” de février 2008 – Article: “Repenser l’écologie: l’homme grand oublié
des stratégies de conservation”. Il commence ainsi: “il est illusoire voire contre-productif de préserver un
écosystème isolé du reste du monde. Replaçant l’homme au centre de leur stratégie, les écologues repensent les
interactions de tous les acteurs de la biodiversité” (p. 39)
C’est exactement ça, et nous allons voir comment une vraie stratégie de préservation n’a rien à voir avec
ce que les talibans de l’écologie voudraient nous faire croire.
1B – Convention de Berne: c’est elle qui, soi-disant, « oblige » la France à importer des ours. Elle date de
1979. La Convention de Berne est en fait obsolète, tout traité international se renégocie, est remplacé par
d’autres, ça a toujours été le cas dans l’histoire, c’est aujourd’hui le cas pour cette convention. Fait
caractéristique: elle n’emploie jamais le mot “biodiversité”, elle repose sur des conceptions des milieux et de
la conservation totalement dépassées. Elle se focalise uniquement sur certaines espèces emblématiques et pas
sur les milieux en eux-mêmes dans leur complexité, elle oublie totalement l’homme!
1C- Le récent Grenelle de l’environnement reconnaît d’ailleurs ces limites. Ce n’est pas telle ou telle
espèce emblématique qui inquiète les rapporteurs du groupe 2 du Grenelle (Préserver la biodiversité et les
ressources naturelles), mais les formes de biodiversité, agricole et ordinaire :
« Toute la biodiversité est concerné par cet enjeu, à commencer par la biodiversité ordinaire,
celle de tous les jours, celle qui n’est pas nécessairement protégée. Les parcs et réserves, dont le rôle est
essentiel, ne suffisent pas à cet objectif. Il faut aussi que les lieux de vie, d’activité et de transports restent
viables pour la diversité biologique. Le milieu agricole est évidemment éminemment stratégique de ce
point de vue. » (p. 16)
« La conservation de la biodiversité ne peut ainsi plus se réduire à la protection des espèces
sauvages dans des réserves naturelles. Elle doit sauvegarder les grands écosystèmes de la planète,
appréhendés comme la base et le support de notre développement. /…/ Ceci est d’autant plus vrai en
France où tous les paysages, réputés naturels ou non, sont le fruit d’une coévolution du travail de la
nature et de l’homme. » (p.31)
Un des éléments essentiels de cette diversité est constitué par les races locales d’élevage, pendant
longtemps marginalisées, menacées par le développement de certaines formes industrielles d’agriculture et que
les éleveurs pyrénéens ont su préserver contre vents et marées dans des contextes très difficiles.
1D - Conférence de Rio 1992: Première grande réunion de tous les pays du globe sur les problèmes de
biodiversité et développement durable. Les « Principes » qu’elle a adoptés obligent les nations qui les ont signés,
dont la France. Les principes 14.65 et 22 mettent l’accent sur ces races et sur les éleveurs qui les ont maintenues
dans des contextes qui ne leur étaient pas favorables du tout. Aujourd’hui où ces races redeviennent essentielles,
pour les remercier, on leur envoie ours et loups, bravo !
« Il s’avère indispensable de préserver la diversité actuelle des races animales pour faire face aux
besoins futurs. /…/ Elles présentent des caractéristiques uniques quant à l’adaptation, la résistance aux
maladies et les utilisations spécifiques. Elles sont menacées par suite des modifications apportées aux
méthodes d’élevage du bétail./…/
Les populations et communautés autochtones ont un rôle vital à jouer dans la gestion de
l’environnement et le développement, du fait de leurs connaissances du milieu et de leurs pratiques
traditionnelles.
Les Etats devraient reconnaître leur identité, leur culture et leurs intérêts, et leur accorder tout l’appui
nécessaire. »
On fait exactement l’inverse en important des ours alors que l’espèce n’est pas du tout menacée au
niveau européen, à l’inverse de beaucoup de races ovines et bovines autochtones. Quelques chiffres :
- moins de 3000 brebis castillonnaises dans les Pyrénées, environ 4000 pour la race barégeoise, et
aucune autre nulle part sur la planète, ni pour l’une, ni pour l’autre ;
- plus de 14 000 ours bruns en Europe et plus de 140 000 si on ajoute la Russie. Et je ne parle pas des
loups, population mondiale estimé à 350 000 individus …
Qui est-ce qui a besoin d’être protégé aujourd’hui, l’ours, le loup, ou les brebis et les femmes et
hommes qui continuent à savoir tenir ce bétail en montagne?
2 – Ignorance ou mensonges ?
Le simplisme des talibans de l’écologie est cousu de mensonges ou d’ignorance sur deux points :
2A - la façon dont les bêtes étaient autrefois tenues en montagne, ils disent alors que les éleveurs,
aujourd’hui, ne savent plus travailler, ne gardent plus comme autrefois,
2B – le rôle du pastoralisme « traditionnel » dans la création et le maintien d’une biodiversité spécifique,
pas toujours spectaculaire certes (et c’est là une difficulté pour nous : nounours est plus voyant, se vend mieux !)
2A – « Méthodes d’élevage du bétail » (la Conférence de Rio regrette qu’elles soient menacées)
On peut les reconstituer finement depuis le XV° siècle: c’est l’inverse du mode de garde qu’on voudrait
nous vendre avec le plan ours. Il impose en effet le regroupement des bêtes en un seul troupeau qui se disperse le
moins possible pour pâturer, et le regroupement nocturne de ce gros troupeau dans un grand parc pour être
surveillé. A l’inverse de ce que demande le Conférence de Rio, le plan ours modifie les méthodes
pyrénéennes d’élevage, il est donc “une menace” pour cette biodiversité que Rio cherche à sauvegarder,
alors que les ours, eux, ne sont pas du tout espèce menacée au niveau mondial ni européen
Dans le passé seules les grandes entreprises de transhumance fonctionnaient ainsi: Aragonais notamment
qui venaient sur les pâturages des Hautes-Pyrénées. On sait qu’à l’inverse des bergers locaux ils perdaient
beaucoup de bêtes. Ramond de Carbonières, fin XVIII°: « Ces pâtres espagnols ne font ni beurre, ni fromage,
mercenaires aux gages de riches propriétaires de l’Aragon, ils conduisent en nomades d’innombrables
troupeaux de mouton élevés particulièrement pour leur laine, des chèvres enfin dont le lait sert à leur nourriture
avec de très beaux pains de leur pays et la chair des moutons qui se précipitent ça et là du haut des rochers.
/…/Les bergers français /…/ perdent bien moins de bétail parce qu’ils en ont moins”
Le système “français” est en effet celui des « escabots » (petits groupes de bêtes dispersés sur l’estive)
et de la semi-liberté du bétail : « en semi-liberté, c’est là qu’elles sont bien et c’est là qu’elles profitent », me
disaient tous les vieux bergers que j’enregistrais dans les années 70 pour recueillir leur Savoir. Mieux même,
certaines communes interdisaient les gros troupeaux regroupés, c’est la cas par exemple à Aulon, Htes Pyrénées,
sur les pentes de l’Arbizon où les arrêtés municipaux du XIX° siècle précisent dates à respecter (du 1° juin au 8
novembre, les pâturages de demi-saison sont donc eux aussi concernés), et taille maximum imposée par la
commune : 120 ou 130 brebis ou moutons, selon l’année.
C’est très écologique, ça évite le surpâturage et de trop faire piétiner le même endroit par un gros
troupeau, à l’inverse ça permet:
- d’entretenir et exploiter toute la montagne, y compris les endroits difficiles où un gros troupeau ne
peut pas passer en bloc, trop de risques et il n’y a pas la place ;
- et de ne pas peser sur le milieu, la pression reste légère puisque ce sont simplement des petits groupes
de bêtes qui se trouvent au même emplacement.
Deux grands systèmes existent: troupeau commun de plusieurs familles, ou garde individuelle, chacun le
sien comme à la maison.
Le mode de conduite général des troupeaux est très bien décrit par Eugène Cordier au XIX° siècle.
Polytechnicien, juriste, en 1844, il découvre les Pyrénées, et en tombe amoureux. C’est entre 1852 et 1857, qu’il
réalisera son rêve: s’y installer pour une longue durée. Il aura même un fils, en 1855, avec la fille d’une famille
de meuniers d’Argelès, Marie, qu’il épousera en 1858. On pratiquait déjà aussi l’amour libre chez nous.
Avec la précision du scientifique, il va alors s’intéresser de très près à toutes les pratiques agricoles,
pastorales, techniques des éleveurs des vallées de Barèges et du Lavedan. Dans le court extrait suivant de ses
carnets, lui-même semble étonné. Ce qu’il découvre ne correspond pas à l’image classique du berger guidant et
commandant des bêtes regroupées:
« Il ne faut pas croire que le berger soit astreint à choisir à chaque instant l’herbe au troupeau.
Non, l’instinct guide les moutons où ils courent naturellement, ils décrivent chaque jour un arc de
cercle, un demi cercle, plus étendu au dessus de la cabane. Il arrivera que le rayon ait une lieue /quatre
kilomètres/. On remarquera que les moutons, sortis par un point, ne rentrent jamais que par le point
opposé. Cela leur est naturel, ou devenu tel. Mais il faut, aux premier jours, que le berger de peine leur
montre la route, la courbe. Ensuite, ils s’étendent de plus en plus, allant toujours à mesure que les neiges
disparaissent. » /folio 27r, dans la liasse intitulée « Les bergers »/.
Mots importants: déjà le berger n’est pas astreint et les bêtes, elles, fonctionnent de façon naturelle, ce
qui commande c’est leur instinct, pas le berger. On est dans les années 1850, et les talibans de l’écologie
voudraient 150 ans plus tard nous faire croire que les éleveurs qui travaillent encore comme ça sont des fainéants
qui ont perdu le savoir des anciens!
Pour les bovins, même semi-liberté. En 1889, M. de Lapparent, Inspecteur général de l’agriculture, fait un
voyage d’étude sur la chaîne centrale. Il commence par l’Ariège. Ce jour-là, il est monté par les montagnes de
Mérens. Arrivé au sommet, il découvre soudain la soulane d’Andorre:
« Ah! Le magnifique troupeau de la race gasconne! Et quel élevage que celui fait ainsi en pleine
liberté, sur ces pentes où l’énergie développe si bien les muscles. On ne se lasserait pas de regarder ces
jeunes veaux, la queue dressée, galoper aussi aisément que s’ils se trouvaient dans une prairie de
plaine./…/ Quatre pâtres gardent ce grand troupeau.”
Là aussi, « semi-liberté ».
Et pour les chevaux, Lapparent écrit ceci à la suite:« Les communes de Mérens et l’Hospitalet ont
un troupeau de juments gardées dans le Mourgouilloux; mais dans les autres parties de leur territoire
usager qui, outre les vallées de Ciska et de Pédourès, comprend celles des Bézines et de Nabre, les
juments que mettent les cultivateurs sont à l’abandon. On se contente de charger les bergers de les
surveiller un peu moyennant une légère rétribution, et de prévenir en cas d’accidents ou de maladie. »
Rien à voir avec la regroupement permanent qu’on nous présente comme le système idéal qui aurait
toujours existé dans les Pyrénées. Quel que soit le cheptel, c’est le contraire parfait !
Dans le système de garde individuel (chaque maison son troupeau), le soir, dans certaines communes
(celles du Biros ariégeois par exemple), chacun ramenait ses brebis près de sa cabane, c’était pour éviter les
conflits, chacun en effet avait son morceau de montagne et il ne fallait pas titiller le voisin. Mais il s’agissait là
encore de petits escabots très dispersés, qui occupaient et entretenaient ainsi tout l’espace disponible, surtout pas
d’un gros troupeau regroupé. C’était en fait comme à la maison, mais sur l’estive. Ce système explique les très
nombreuses ruines d’anciennes très petites cabanes ou d’orrys que l’on trouve dispersées sur certaines
montagnes, parfois à haute altitude.
Aujourd’hui ce problème de voisinage ne se pose plus ainsi, et qui accepterait encore de passer la nuit
dans ces « tutes » ouvertes aux quatre vents ? Mais les brebis, toujours, occupent tout l’espace, en petits
escabots : ce sont d’ailleurs les mêmes qui, d’année en année, de la mère à la fille, se transmettent ce savoir des
lieux qui leur permet d’être encore patronnes et maîtresses des crêtes et des pentes. Ce que Cordier, il y a
150 ans, analysait ainsi : « cela leur est naturel ou devenu tel ».
Sur la composition moyenne des escabots, on possède des chiffres précis et sûrs depuis des dates
reculées. Quelques exemples :
- 1534, Campan, Montagne de Gaube, procès avec les voisins: en tout, chevaux, vaches, brebis, 10.303
bêtes ; éleveurs ou éleveuses présents sur la montagne : 231, on est très loin de cela aujourd’hui bien sûr.
Moyenne de 111 brebis ou chèvres par éleveur, le moins une dizaine, le plus 130.
- 1855, Auzat, 146 éleveurs présents sur la montagne, il y a de quoi rêver !16.665 ovins, escabot inférieur
à 150 bêtes pour les 3/4 des maisons, une vingtaine seulement arrivent à 200
- 1866, Antras, petite estive, mais 75 maisons présentes, 64 ont des ovins, 2505 têtes en tout. Moyenne
des escabots : 30 bêtes, aucun n’arrive à 100, trois seulement au dessus de 90
- Et nous avons vu les arrêtés municipaux d’Aulon au XIX°s. : 120 à 130 bêtes.
Sur près de cinq siècles si l’on ajoute aujourd’hui, même organisation des troupeaux en escabots :
c’est impressionnant. C’est cela qu’on appelle une « culture ».
Un dernier épisode, encore plus caractéristique: la vallée de Barèges, en 1853, est confrontée aux Eaux et
Forêts qui déjà veulent que les troupeaux soient regroupés en permanence. Les Maires de toutes les communes,
et les conseillers généraux montent au créneau :
les bêtes ont toujours été conduites « à garde séparée /…/ nous vivons /sous/ un climat âpre, au
milieu des neiges et des frimas, la lutte contre les éléments dure et durera toujours. Qu’on nous laisse les
ressources qu’avaient nos pères pour soutenir le combat »
« le troupeau commun est généralement impraticable, la position topographique des forêts, leur
pente rapide, l’exiguïté d’étendue de certains quartiers sont des obstacles insurmontables à cette
disposition législative. » Il faut donc conserver un système éclaté, en petits troupeaux dispersés,
autonomes ;
Et le Préfet lui-même, qui est allé voir sur le terrain, écrit au gouvernement:
« /La loi/ a été faite pour d’autres lieux ou a manqué de prévoyance pour concilier les intérêts
qu’elle était appelée à régler./…/
Si le parcours avait lieu en pays de plaine ou du moins sur un terrain en pente mais uni, si les
habitations étaient moins disséminées, s’il n’était pas très difficile voire dangereux de former sur un point
donné de grands rassemblements d’animaux, s’il n’y avait pas à se préoccuper de ces luttes qui mettent
la confusion dans les troupeaux nombreux et y occasionnent des accidents et jettent les animaux dans les
quartiers en défens malgré la surveillance, /…/ on comprendrait l’utilité de l’article 72 dont les termes
sont incompatibles avec le pacage à garde séparé . »
Il conclut: « Les mesures prescrites ne sont pas nécessaires comme moyen de conservation /…/,
elles sont de nature à plonger dans la misère et réduire au désespoir de nombreuses populations. »
Sur ces mêmes montagnes haut-pyrénéennes, celles où les bergers « mercenaires » aragonais tenaient
leurs moutons regroupés, et en perdaient beaucoup, H. Fédacou racontait ainsi comment, avant la guerre de 14,
lui, sa famille et les voisins fonctionnaient :
« Le matin, on commençait par traire les vaches dans le petit parc avant de les lâcher au
pâturage./…/ L’après-midi on allait voir les brebis à la Mountagnette, on les comptait, on les soignait au
besoin. Puis on descendait, le plus souvent en groupe, à la cabane pour traire à nouveau, écrémer le lait
de la veille à l’aide de la large cuillère en bois » . Les escabots restaient donc seuls et dormaient là-haut.
Inutile de continuer. Système de familles qui se regroupent ou système individuel, rien à voir avec ce que
la plan ours voudrait inventer dans les Pyrénées. La réalité c’est : partout petits escabots, autour d’une centaine
de têtes en moyenne, beaucoup moins bien souvent, toutes très dispersées, « semi-liberté » du bétail, et berger
qui « n’est pas astreint ». On nous raconte qu’aujourd’hui les éleveurs travaillent mal, et plus comme autrefois.
C’est une stupidité ignorante. Par contre, il y en a beaucoup moins, et ça c’est un problème .
2B – Ces méthodes créent une biodiversité spécifique.
Il faut à présent revenir au point de départ
Revue “Pour la science” de février 2008 : “il est illusoire voire contre-productif de préserver un
écosystème isolé du reste du monde. Replaçant l’homme au centre de leur stratégie, les écologues repensent les
interactions de tous les acteurs de la biodiversité” (p. 39)
Cette interaction est fondamentale. En effet, c’est cette façon souple, fine, pas pesante, de tenir le bétail
qui a créé, à partir de la nature, la biodiversité pyrénéenne, une biodiversité que nous appelons « biodiversité
à visage humain », une nature humaine pas sauvage même si elle présente certaines caractéristiques qui peuvent
nous sembler sauvages lorsque nous ne connaissons pas son histoire.
Et nous avons indiqué ci-dessus (1-C) comment le « Grenelle de l’environnement » a reconnu la place
centrale de cette biodiversité : « Le milieu agricole est évidemment éminemment stratégique de ce point de vue. »
Très rapide survol pour divers massifs en France et en Espagne :
- Pyrénées/France: - Cette fusion des rapports entre nature naturelle et nature humanisée, des travaux
récents la décrivent déjà dans les Pyrénées pour le néolithique, comme le souligne J.P. Métailié qui, à
l’Université Toulouse-Le Mirail, dirige d’importants chantiers d’archéologie pastorale:
« Contrairement à l’image trop souvent répandue de la montagne – une Nature immuable où
l’homme serait marginal – les recherches ont replacé la société au coeur d’un environnement modelé
par 6000 ans d’histoire. » ( 1 )
Sur une période relativement plus proche de nous, le même auteur indique que certains hêtres des
Pyrénées occidentales et basques ont près de 500 ans. Sans aucun doute, leur constitution naturelle et un milieu
particulièrement favorable, ont-ils accordé à ces arbres de vivre aussi longtemps. Et pourtant, ce sont les
pratiques pastorales qui leur ont permis un destin aussi exceptionnel :
« C’est la dévolution de la forêt aux troupeaux, et donc l’absence d’exploitation pour la
métallurgie ou le bois d’oeuvre, qui a permis la survivance de peuplements aussi anciens… Longtemps
stigmatisé comme une pratique archaïque, une « dégradation de la forêt », le sylvo-pastoralisme a créé
dans bien des endroits de véritables patrimoines forestiers. »
- Depuis près de 40 ans, j’aide régulièrement les copains sur une estive ariégeoise, entre le
Mont Valier et le Col de la Core. En un endroit précis, entre 1800 et 2000 mètres, un grand pierrier schisteux est
chaque année fréquenté par un escabot d’une trentaine de brebis, acharnées à cueillir les herbes, courtes mais très
nutritives, qui poussent entre les graviers. Impossible de les en déloger, même lorsqu’on ramasse le troupeau, et
Les éleveurs-bergers disent toujours (j’en ai connu trois générations successives): « il faut les laisser vivre, elles
sont bien, elles descendront quand elles voudront».
Sur ce pierrier, sec et haut, poussent de façon surprenante … des digitales. Plus petites qu’à leur altitude
habituelle, plus épaisses aussi, et à la couleur plus intense. Comment expliquer ce mystère ? La graine de la
digitale est « épizoochore », ce mot savant signifie simplement que les graines sont transportées par la laine des
brebis : et en effet, pour monter jusqu’à ce pierrier, les brebis doivent traverser une pente où, vers 1500 mètres,
pousse un vrai champ de digitales. Et ce sont les bêtes, sans le vouloir, qui ont ainsi permis à cette plante de
pousser là-haut. En Espagne, on est en train de rouvrir les anciens chemins de transhumance (« las cañadas ») car
on s’est aperçu que ce rôle épizoochore était essentiel pour assurer la biodiversité autour de ces chemins.
- Alpes : sur l’alpage de Gap-Chaudun, une thèse de 2004 indique comment les herbivores sauvages ne
suffisent pas à maintenir la diversité végétale de milieux qui s’embroussaillent, s’appauvrissent et se ferment :
« Le mouflon, réintroduit dans le bassin versant en 1958, a vu sa population croître et atteindre, en 1999, 641
individus. Mais son régime alimentaire est constitué d’environ 60% d’herbacées. Même si le cheptel de cervidés
est également en constante augmentation, sa pression sur la végétation ne peut certainement pas à elle seule
garantir le maintien des espaces pastoraux. Seule la relance de la filière ovine permettrait de juguler à long
terme cette colonisation expansionniste des ligneux. » ( 2 )
- Pyrénées/Espagne: amélioration de la valeur nutritive des pâturages favorable aux isards.
.A l’automne, ils viennent manger les repousses après que les brebis soient descendues. “Au début du printemps,
une fois la neige fondue, ils fréquentent les pâturages intermédiaires pour s’alimenter. Ces pâturages se
conservent grâce à l’activité pastorale et procurent aux isards des ressources très nutritives à des époques
essentielles de leur cycle vital : dernières semaines de gestation, quand les besoins énergétiques sont très forts. »
D’autres écologues ont prouvé ceci : sur certaines estives de l’Aragon, le pâturage dispersé des brebis
permet à certains plantes de pousser qui, sans cela, ne survivraient pas. Leur sabot pointu crée dans le sol de
petites cavités où des graines se déposent. Mais la montagne est très sèche, l’eau manque pour faire lever ces
graines. Heureusement, dans la cavité due au passage des brebis, le matin la rosée se dépose, et cette humidité
suffit à les faire germer ( 3 ).
- Espagne/Massif cantabrique : à propos du système que constitue la biodiversité dans ces montagne :
« Le pâturage n’est pas une « perturbation » mais constitue une partie essentielle du système, c’est un élément
supplémentaire, nécessaire pour maintenir ses caractéristiques et ses espèces/…/ pâturages exploités selon des
systèmes pastoraux adaptés, basés sur des races de bétail autochtones particulières et des variétés semidomestiques
de plantes qui ont évolué sous la pression de ces herbivores. /…/
Dans les pâturages de la Cordillère cantabrique, nous avons pu démontrer l’importance de l’élevage
extensif dans la préservation de l’habitat de l’isard cantabrique. Lorsque l’utilisation pastorale extensive
diminue, ou lorsqu’elle s’arrête définitivement à cause des difficultés que rencontre aujourd’hui la
transhumance, on assiste à une dégradation des ressources alimentaires entretenues par les ovins et que ces
isards utilisent aux époques de l’année où les ovins sont partis. L’habitat de l’isard diminue alors, tandis
qu’augmentent les ongulés spécifiques des milieux davantage forestiers : chevreuils, cerfs, sangliers. » ( 4 )
On retrouve chez nous la même situation avec les mêmes espèces animales devenues envahissantes, en
surnombre.
Sous forme question/réponse, les auteurs ont cherché à informer scientifiquement des non spécialistes, sur
la biodiversité dans les zones rurales : comment concilier préservation et activités humaines ?
« Quels sont les paysages agricoles qui abritent la plus forte biodiversité ?
Les paysages qui abritent la plus forte biodiversité sont composés d’habitats semi-naturels. Les
principaux types sont les prairies exploitées de façon extensive ou peu intensive /etc/. En France, 84 % des
surfaces classées en « haute valeur naturelle » correspondent à des zones d’élevage en plein air (Alpes, Corse,
Franche-Comté, Massif central, Pyrénées…).
- Les prairies permanentes jouent-elles un rôle important dans la préservation de la biodiversité ?
En France, on appelle prairies permanentes des prairies de plus de six ans. Leur présence est liée à
l’élevage extensif. Elles jouent un rôle très important dans la préservation de la biodiversité.
Elles hébergent plus de 80 espèces de plantes et servent d’habitat à de nombreux oiseaux lorsqu’elles
sont exploitées de façon extensive (moins de 1,5 bovin à l’hectare). La biodiversité diminue lorsque trop
d’animaux pâturent sur la prairie (on tombe à 10 à 20 espèces de plantes).
/note personnelle : d’où l’intérêt pour la biodiversité du pâturage traditionnel en petits escabots, et non
pas du regroupement permanent tel que voudrait le vendre le Plan ours/
Les prairies sont particulièrement riches en vers de terre (une tonne à l’hectare, alors que les surfaces
labourées depuis longtemps en comptent moins de 100 kg). Ils améliorent la structure et la fertilité des sols et ils
servent de nourriture à de nombreux animaux. » ( 5 )
Mais, sur ce point les talibans ont raison, il est moins exaltant et valorisant de s’intéresser aux vers de
terre plutôt qu’aux ours et aux loups !
3 – Conclusion
Races autochtones redevenues essentielles pour des productions adaptées aux milieux, respect des
« méthodes d’élevage du bétail » (cf. conférence de Rio) qui sont liées directement à ces races, milieu seminaturel
riche d’une biodiversité à visage humain, avantage pour cette biodiversité du pâturage en petits
escabots : c’est tout cela qui est en jeu aujourd’hui.
Le choix est simple :
- on raye tout cela, on efface une histoire très ancienne qui a ainsi modelé ce milieu, et on l’ensauvage à
tour de bras pour permettre à ours et loups d’y vivre comme ils le font déjà naturellement dans tant d’espaces
très peu humanisés, sans avoir pour cela besoin des Pyrénées ni des Alpes ;
- ou on continue cette histoire, la relance là où elle tend à disparaître, et préserve cette biodiversité à
visage humain caractéristique de nos montagnes : formes d’élevage riches, variées, pas homogènes ni
industrielles, biodiversités agricoles et ordinaires très riches, maintien d’un milieu ouvert, humanisé, beau, pour
randonneurs et simples promeneurs.
B.Besche-Commenge – ASPAP/ADDIP
1 février 2008
(Ce texte est une synthèse d’un ouvrage plus complet dont je m’occupe à l’heure actuelle de chercher
un éditeur. Comme il est de coutume, les citations doivent être faites avec le nom de l’auteur.
Notes
( 1 ) Sud-Ouest européen – Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest – n°11, juin 2001 –
Environnement et anthropisation.
( 2 ) Damien MARAGE - Thèse pour obtenir le grade de docteur de l’ENGREF - Spécialité : Sciences de
l’Environnement « DETERMINISME, DYNAMIQUE ET MODELISATION SPATIALE DE LA DIVERSITE
FLORISTIQUE DANS UN CONTEXTE DE DEPRISE PASTORALE Application à la gestion durable des espaces
montagnards sous influence méditerranéenne » 22 janvier 2004 - page 77
( 3 ) Aldezabal, A., García-González, R., Gómez, D. y Fillat, F. 2002. El papel de los herbívoros en la
conservación de los pastos. Ecosistemas 2002/3
Salvador Rebollo y Antonio Gómez-Sal, A. 2003. Aprovechamiento sostenible de los pastizales.
Ecosistemas 2003/3
( 4 ) Salvador Rebollo y Antonio Gómez-Sal Dpto. Interuniversitario de Ecología, Alcalá de Henares.
- Niveau scientifique général:
Science & Décision UMS 2293 CNRS
( 5 ) voir l’excellent site de cette équipe scientifique:
http://www.science-decision.net/cgi-bin ... &chapter=0, juin 2007