INTERDIALECTALITÉ ET DIVERSITÉ (PLURALITE) CULTURELLE AU CŒUR DE LA DYNAMIQUE DE LA TERRITORIALITÉ LEXICALE DIALECTALE ET POLYNOMIQUE
par
Jean-Louis Fossat
cf. Fossat-1924 en ligne sur
occiton@free.frINTRODUCTION
1. ACQUISITION DE DONNÉES LEXICALES ET GRAMMATICALES REPRÉSENTATIVES EN « SOCIOLINGUISTIQUE COGNITIVE » des états de sociabilité
Premiers parcours de terrain : traversée des territoires sociaux : bilan et perspectives
« La science ne se conçoit pas à l’écart du monde. Elle est d’abord au service de la Société. » Valérie Péqueresse, mai 2009 (L’Internet du Futur).
Les mondes langagiers, les systèmes langagiers dans leurs milieux externes et nous : mondes finissants, mondes en situation de recouvrement (Gruzinski 2004), de décomposition, de recomposition.
La problématique est à la fois une question de date, d’échelle d’observation et de relation au développement des sociétés, en termes de politique linguistique.
La datation : les problèmes se posent en Europe occidentale depuis sa formation, et tout au cours de son développement, dans toutes les parties de ce monde (Ph. Wolff, 1970, Origines).
Echelle : l’analyse du problème varie selon que l’on observe les faits à échelle des grands espaces-territoires (Europe Occidentale) ou les petits territoires travaillés les uns et les autres par des réseaux de sociabilité (réseau des diocèses, des évêchés, des abbayes cisterciennes, Gimont, Bonnefont, Franqueville, Aiguebelle, L’Escaladieu, par exemple ; ou réseau des mesaus commingeois et aranais (S. Brunet 2001)
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Problématique sociale et géopolitique .
On pose que l’identité langagière, romane, germanique, slave, anglo-saxonne etc. est un construit historique et territorial complexe, qui ne peut se ramener au concept de « projet » conduit consciemment par des élites actionnant les masses inconscientes, brutales, à époque moderne et contemporaine ; c’est ce qui nous sépare à la fois des approches géographiques autant que de toutes les formes de militantisme linguistique fondé sur ce type de conception, même si nous en reconnaissons, par ailleurs, l’intérêt, voire la nécessité, en termes juridiques de droits linguistiques (domaine basque, domaine occitan etc.) ; l’intérêt de cette position critique aura été au moins de nous permettre une approche plus nuancée, dialectique du concept de méridionalité où les faits langagiers sont abordés à échelle de la France Méridionale , dans une opposition dialectique Sud_Nord , qui sépare les deux langues de France, si l’on en croit Ph. Wolff, pour la période médiévale (Wolff 1970, Origines).
Ceci dit, notre priorité a été, de toujours, - jusqu’à l’angoisse et l’obsession -, le recueil d’observables sociaux de terrain, puis la constitution de collections de données primaires rendues comparables en stratégie de traitement de corpus de données primaires localisées, vérifiables, soumises à analyse, à expertise multiple, avec l’appui de toutes les forces qui constituent la société civile organisée en réseaux de sociabilité complexes. Même si nos connaissances sont à cet égard sujettes à discussion, notre préoccupation centrale a toujours été de rapporter la problématique des rapports complexes des systèmes langagiers à leur milieu social externe de développement.
Premier type de fascination : les modèles, d’Aristote, de Berkeley, Stanford et la compétitivité à échelle de la mondialisation.
Comment sont vues les entités langagières des langues "depuis" ou "avant," "après" Aristote, par les logiciens, les sémanticiens, les linguistes, les chercheurs du séminaire Aristote, industriels et laboratoires de recherche reliés : Aristote, Platon, Tarski, Frege, Witgenstein, St-Augustin, St-François d’Assise, Croce, Goldoni, Guido Calogero, Luigi Scaravelli, Antonino Pagliaro, Leopardi, Mancini, Manzoni, Gramsci, et enfin Tullio de Mauro, mais tout autant les chercheurs de Berkeley University, de Stanford, aujourd’hui même etc. : long parcours, périlleux, balisé de barrières, d’obstacles, de traquenards, de pièges, voire de bombes anti-personnelles.
Des logiques opposées
Second parcours et seconde fascination : logiques de vaqueiros, contre logiques aristotéliciennes : les vaqueiros asturiens, les vaquiers languedociens, aulhèrs, maseliers et maserers, les motoniers du Thalamus de Narbonne, des cartulaires urbains et des communautés villageoises, eux, que disent-ils, dans leurs plans d’action, qu’est-ce qu’ils ont « en tête » quand ils disent manejar, tocar (verbes d’action/verbes d’état): quelle conscience ont-ils, ces gens dit incultes, de ce qu’ils disent, ou alors, dissent-ils et font-ils n’importe quoi, comme il arrive à certains linguistes de le dire, voire de le penser ? Puis, à partir des données empiriques, on revient sur le concept même d’entité langagière, sur leur facette de production, puisque ce sont, entre autres choses, des formes historiques (produites), et sur leur facette réceptive, puisque les choses de langue sont des objets de perception en script d’interaction continue entre états.
Des attracteurs et des séparateurs.
Connecteurs, marquage et marqueurs et attracteurs
De quelque côté que l’on prenne la question, on se trouve confronté à un concept majeur pour l’hisitoire de l’interdialectalité métisse : quelle est l’origine, à échelle planétaire, mondialisée, dès le 12ème siècle de ces logiques d’agrégation par ressemblances, mesurables, comparables, et de ce différentiel ? Ronjat, déjà, posait le problème, qui , depuis, constitue la bête noire de tout linguiste dialectologue, fascinié par la varaiabilité.
Séparateurs, Diviseurs et matrice de toutes les guerres
D’un côté des réseaux de sociabilité, au sein des réseaux de communautés de villages, de vallées, de communautés urbaines, le grand Ossau, le grand Aspe ; donc des relations de lien, des liaisons, dans un territoire géographique historiquement maîtrisable : des communautés de vesiaus, si l’on accepte de se référer au cas historique ossalois du Haut Bearn (P. Tucoo_Chala et alii). L'histoire de la Chalosse ne commence pas en 1947, avec le plan Marshal, mais ce plan a largement contribué à la fois au développement territorial et, en même temps à la désagrégation du patrimoine langagier
Mais dans ces mêmes réseaux historiques de sociabilité, partout est installée la guerre, la controverse, le désaccord, à toutes les échelles, pour le contrôle de parcelles de territoires : guerre pour les droits à la jasilha, à la padoença
De quelque côté que l’on se retourne, pour fouiller les recueils documentaires accédés, ce sont ces axes, pour les « quatre parties du monde » (S. Gruzinski), qui dirigent l’analyse.
Le secours des graphes (théorie des graphes et des tables ou matrices d’incidence) pour représenter les systèmes objets des univers de langage organisés par langue historique: un minimum théorique pour dessiner des réseaux de similarité
En raison de notre problématique, le recours aux graphes d’interconnexion a été très tôt une de nos préoccupations méthodologiques premières, en dialectologie comparative. Si on se préoccupe de construire des modèles typologiques fonctionnels, c’est en vue de les analyser, de les décrire, puis de les réaliser physiquement.. C'est ainsi que nous avons, à partir de la documentation lexicographique occitane, entrepris d'élaborer, à partir d'un minimum théorique, un lexique-grammaire de l'occitan, qui permet à chaque utilisateur de construire autant de graphes que de clés de requêtes.
Le secours des cartes, de la représentation cartographique, au service de l’expertise de l’activité langagière.
Pour mieux comprendre comment se passent ici et là les choses, les experts de l’analyse dialectale ont fabriqué des outils de laboratoire puissants, qui permettent de se faire une idée plus précise des mouvements des choses dans la maison LANGUES ET ETATS DIALECTAUX..
Comme le modèle d’un système dialectal est toujours un graphe d’états binaires avec transitions, on comprendra qu’on ait recours aux matrices d’incidence pour construire des cartes modèles dites cartes de Kohonen (Fossat Lyon III, cartes de Kohonen des organisations morphosyntaxiques du gascon).
Ces outils et méthodes permettent de voir en actes le principe de distribution territoriale des objets concurrentiels mêmes de l’expertise territoriale ; certains linguistes disent qu’il ne faut pas être trop regardants sur les critères, simples différences de « couleur », par exemple, s’il s’agit du différentiel phonétique par exemple. Mais s’agissant de structures « marquées » qui contribuent à construire des classes typologiques qui se sont développées et ont stabilisé les langues en états dialectaux organisés par ressemblance et différenciation mesurables, la chose vaut la peine d’être regardée de plus près, même s’il convient d’expliciter la classification typologique des réductions opérées pour établir une matrice d’incidence (Séguy ALG6, Table de contingence de morphologie verbale, réduite à 48 lieux de marquage des propriétés).
CAPIRE LE PAROLE
La diga, sior patron, no gh’è Pasqual, siora Beatrice no gh’ha nissun che l’aiuta a vestir ; se contentelo che vada mi a servirla in vece de Pasqual ? (Truffaldino, Goldoni. Il servitore di due padroni, scène 10, 258)
Truffaldino, comme Pantalone, au théâtre, ne parlent pas italien ; ils parlent leur langue, la langue de Bergame, proche de celle de Venise, et ils le savent, ils en ont bien conscience ; cette situation de fragmentation est courante en Italie jusqu’à nos jours ; il suffit d’avoir en tête la chronologie de l’Unification des Etats d’Europe pour se faire une première idée de la problématique de la diversité langagière des Etats d’Europe de 1745 à 1784.
La première exigence se laisse résumer par ces mots hérités de Tullio de Mauro : « capire le parole », se saisir de la parole non des mots isolés, mais des paroles mises en scène, organisées par des « scripts » (Tullio de Mauro 2003, 71-72-73 ; Fossat 2009, scripts et scenarii de lexiques « hybrides » collection numérique D R F DF).
Via, no se vergognè, deghe la man anca vu. Cussi sarè promessi, e presto preston sarè maridai (Pantalone, Il Servitore di due padroni, scène 1, 61) : décidément, l’objectif « capire le parole » se heurte à bien des obstacles.
LEXIQUES SIMULTANÉS, CIRCULATION DE L’INFORMATION ET POLYPHONIE INTERDIALECTALE
Ces principes généraux posés comme base de discussion, venons-en à nos applications de lexique_grammaire de l'occitan qui accorde toute sa place à la variabilité langagière..
L’hypothèse de départ, validée par toutes les analyses exploratoires est fondée non sur la séparation, mais sur la connexion, en termes d’analyse diaphasique. (Gruzinski 2004, 134).
« La connexion établie a des effets immédiats sur la circulation de l’information".
BRICOLAGE D'ÉTATS HYBRIDES ET RÉSEAUX DE SOCIABILITE MARCHANDE: DE L'ARCHAÏSME AUX RÉFORMES
S’agissant de notre application Lexiques simultanés et parallèles D R F DF (économie-rurake, commerce du bétail orienté travail/lait/viande), il s’agirait plutôt de se saisir des paroles sur un axe hisrtorique,(« voces » D, R, F, DF en mode polyphonique, selon l’expression héritée du lexique castillan), avec « stratégie d’écoute» couplée à une « stratégie de questionnement », direct ou indirect. Il s’agit ici de comprendre du point de vue de l’analyse synchronique, en premier lieu, par une méthodologie d’analyse comparative des agrégations différentielles sur fonds de proximité dans des réseaux de sociabilité, et d’éclairer la formation du rapport des formes à leur contenu, selon des méthodes d’analyse historique, et sociologique, entre autres..
Dès lors qu’en Europe Occidentale, les élites de l’encadrement et du contrôle territorial des sociétés ont utilisé une langue standard formelle, d'abord latine, puis romane, germanique, slave etc., langue devenue nationale, elles ont été contraintes de faire état des habitudes et usages lexicaux et grammaticaux contraires, contrariant leur « projet » ; donc de citer soit des unités lexicales, soit des séquen,ces entières appartenant à des habitudes linguistiques contrariantes, extérieures au projet de « remise en ordre » de situations perçues comme « confuses », ou "archaïques" dans une logique de "réforme" conçus d'en haut.. D’où les données se présentent non comme indépendantes m:ais dépendantes, dans un rapport de contrariété qui donne existence à des états transitoires ou intermédiaires : la trajectoire est la suivante : pour aller de D (ressources de type D) à F (ressources de type F), il faut prendre en compte les états intermédiaires générés de type R et de type DF. Les ressources D représentent les usages à contrarier, parce que dialectaux, F représente la norme à imposer par les réformateurs, sans discussion possible; R représente une solution hybride, tout comme les concessions de type DF, qui sont la réponse des usagers, marchands ou utilisateurs, aux réformateurs abrupts, illuminés.
Notre tâche a été ici de recueillir dans la boucherie rurale des données qui valident ou invalident l’hypothèse de la connexion et de repérer ses effets induits dans des cercles de diffusion, de circulation et d’échanges qui « créent des sociétés mêlées », selon les termes mêmes de l’historien Gruzinski (Gruzinski 2004, 152, 161, 162, 164 : « le cercle des mondes mêlés ») ; j’ai eu récemment l’occasion de discuter de ce point de vue avec A. Lodge, historien des langues de l’Europe Occidentale.
Toutefois, il ne faudra jamais perdre de vue que l’objectif des élites et intermédiaires est de rendre un jours illégales les entrées lexicales dialectales : alors on comprendra mieux la vengeance des sujets dialectophones qui en sont arrivés à créer leur propre lexique français, en mode dialectal, avec l’accent dialectal. (plan des ressources de type R, en France) : mais il est bien trop tard en 2010 pour mettre en place un observatoire ANR : partout la situation dialectale a bien fait l’objet d’une liquidation, au moins dans la France méridionale et centrale. Le marquage dialectal n’a même plus besoin d’être déclaré illégal. Le problème n’a donc pas à être porté au plan judiciaire.
1.1 dimension spatiale et échelle d’observation du multilinguisme « marqué » D R F DF
- échelle minimale : de maison à maison, de borne à borne, dans les limites de réseaux de sociabilité minimale (bòrda, casa, ostau, jaça ; mesal ; vesiau etc.)
- échelle cantonale : réseaux de sociabilité cantonaux, intercommunalité
- échelle départementale
- échelle régionale : réseaux de sociabilité interdépartementaux
- échelle nationale : multilinguisme et politique linguistique des Etats
- échelle transnationale et multilinguisme ; abbachio, « lachon » ; scamone « punta di filetto « di maiale
- échelle mondialisée, planétaire
1.2 dimension temporelle de l’observation des réseaux de sociabilité, en logique de développement de lexiques D, R, F, DF, avec interdialectalité compétitive ou concurrentielle ?
1.3 Traitement numérique approprié :
- recherche de méthodes d’analyse du marquage
- vers les cartes de la connaissance, par les graphes de marquage des « lieux » logiques de concurrence lexicale; autrement dit, il ne s'agit que de traiter, en perspective typologisante, le problème du polymorphisme lexical, phonétique, morphologique, syntaxiue.
1.4 La question de la variabilité. De quelque manière qu’il aborde la matière dialectale, le linguiste dialectologue est confronté au problème du rapport des langues de statut dialectal à la variabilité interne du langage en milieu externe. Notre chance a été de venir après une des expériences d’analyse exploratoire majeure en domaine dialectal occitan et catalan, : J Séguy, H. Guiter font ici figure de protovariationnistes fondateurs d’une méthode.
1.5 Les analyses exploratoires de l’organisation dialectale sont venues après 1973. (Philps 1975, Philps 1985 ; Fossat et Beauchemin 1978 ; Fossat 2001 ; Fossat 2008a ; Fossat 208b ; Fossat 2009) ; on n’en finirait pas de dresser l’inventaire des effets induits de la fascination calculatoire depuis les années 60, en linguistique computationnelle (Chiari 2007).
1.6 La question de la description géolinguistique : ses objets. Le géolinguiste s’assigne comme objectif la connaissance des aires quantitatives, à partir de la connaissance des distributions,, qui fonde une grammaire plurilectale de la variabilité dialectale. Les outils de cette description sont les outils désormais classiques d’analyse exploratoire des données (EDA) ; l’entrée (input) du plan d’analyse exploratoire est constituée par l’ensemble des classes déclarative des valeurs : ces valeurs sont déclarées dans un fichier appelé DIC-VAR divctionnaire de variables. Les sorties (outputs) sont toujours des résultats de classification : CAH_i et CAHj. Mais de manière générale, les inventaires les plus récents concernant la linguistique computationnelle (Habert, Chiari 2007) ignorent résolument tout de la dialectologie computationnelle, sans doute parce qu’elle opère sur des données non représentatives pour les grandes officines qui structurent et contrôlent le domaine de la linguistique computationnelle de corpus/corpora.